Lorsque l’équilibre est un symptôme

Oui, je sais, dis comme cela la proposition est quelque peu étrange.

Pourtant c’est exactement la réflexion qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai essayé de remplir le questionnaire réalisé par Wizard pour connaitre les retours sur D&D5. Après avoir passé les questions filtres usuelles (à quelle(s) édition(s) de DD avez-vous joué, quelle est votre fréquence de jeu, etc.) s’en suit une série sur l’équilibre entre les classes : est-ce que le barbare vous semble plus puissant que le clerc (ou l’inverse), est-ce que le guerrier est plus fort que le roublard ?

En gros : kikalaplusgrosse ?

Et c’est le drame. L’expression même d’un énorme manque pour moi. Cette question ne veut rien dire pour le rôliste que je suis. C’est une question qui parle à mon coté wargameur, joueur de jeu de société ou joueur de jeu vidéo, mais pas de rôliste. Et même dans ces domaines on trouve des jeux asymétriques dont le plaisir de jeu vient justement de cette asymétrie.

Pour info j’ai joué les deux années de tournois de Helldorado avec l’armée la plus faible du jeu (les Occidentaux) en terme de troupes (et d’avantages stratégiques) et au sein de cette armée, avec l’officier le plus faible du jeu. Et pourtant je me suis fait plaisir et j’ai même remporté quelques mémorables victoires.

Concernant le jeu de société, je suis joueur de Netrunner, excellent jeu publié en français chez Edge dont tout l’intérêt repose justement sur les deux types de jeux différents selon que l’on est le hacker (qui doit voler les projets) ou la corporation (qui doit protéger ses projets et les mener à bien). Bon, par contre à Netrunner, je suis une buse.

Pour les anciens de WOW, souvenez-vous que l’attaque principale du guerrier (la charge) a toujours été buggée et jamais réparée pendant les six ans de jeu que j’ai passé sur Azeroth. Guerrier, la seule classe où tu étais fier de toi quand tu mourrais en ayant réussit à préserver tous les autres.

Revenons à l’équilibrage…

La question de l’équilibre du jeu est forcément importante, mais sur quels critères les classes doivent-elles êtres équilibrées ? Et à quelle échéance sont elles équilibrées ? Et surtout, qui juge de cet équilibre ?

Premier point : Est-ce qu’un guerrier avec un gros marteau de guerre magique est plus fort qu’un fixer avec un téléphone et une liste de contacts longue comme le bras qui contient justement un guerrier plus fort avec une hache vorpale ?

Cet exemple un peu étrange est juste là pour poser la question de l’équilibre. Est-ce uniquement la puissance de dégâts instantanée ou les capacités et potentialités du personnage qui font sa puissance ? Parce que si l’équilibre des classes ne sert qu’à poutrer, c’est clairement limite comme conception du jeu de rôle.

Et donc l’équilibrage a-t’il un intérêt ?

Je vais prendre l’exemple d’un jeu de rôle très intéressant de Croc : Scales.
Le principe même de jeu est déséquilibré entre les joueurs. D’un coté vous avez un des joueurs qui incarne un dragon métamorphosé en humain et de l’autre des humains qui découvrent leur nature d’êtres magiques.

La puissance du dragon est largement au dessus des autres joueurs, sauf qu’il s’insère dans une société draconique avec ses obligation, sa politique et que ses enjeux ne sont pas les même que son groupe d’amis qui eux commencent tout en bas de l’échelle. Sa marge de manoeuvre et de progression est finalement limitée alors que celle des êtres magiques est énorme puisqu’ils peuvent arriver jusqu’à révéler leur potentiel et les pouvoirs qui vont avec et que certains scénario ne sont axés que dans cette optique.

Du coup, comment géreriez-vous l’équilibrage ? Et d’ailleurs est-ce que cela aurait une quelconque importance ?

Un équilibrage ? Euh oui, mais quand ?

Acceptons deux secondes que l’équilibrage puisse avoir un quelconque intérêt… du coup quand l’équilibrage doit-il avoir lieu ? Tout le temps ? Temporairement ?
Qu’une classe soit plus dure à jouer participe à l’équilibre et à la cohérence du monde. Si tout le monde peut être mage mais que dans votre univers la magie est rare, il va falloir l’expliquer. Parce que qui ne rêve pas de claquer des doigts pour ne pas avoir à faire de corvées ? Et s’ils sont si fragiles qu’est-ce qui pousse une personne à prendre des risques pour finalement ne pas faire mieux que les autres ?
En gros tu es fragile au début et si tu survis, tu deviens plus puissant que la moyenne. Sinon tu fais guerrier-pâtissier et tu ne prends pas plus de risques.

Finalement il n’y a aucun équilibre puisque le mage passe de plus faible à plus puissant en fonction d’un niveau charnière…

Donc si l’équilibrage de puissance est recherché, il faut qu’il soit permanent et non pas temporaire. Merci bien la galère.

Mais si, j’te dis que Nécro c’est moins fort que Druide

Ensuite, qui va juger ? L’auteur du jeu ? La communauté qui va aller couiner sur les forums de l’éditeur ? Normalement là, les joueurs de jeux vidéo voient immédiatement de quoi je veux parler. Pour WOW par exemple tu as toujours une frange de joueurs qui vont sur le forum de blizzard pour pleurer que la classe de leur personnage est trop faible. Qu’ils ne savent pas jouer cette classe, qu’ils soient des joueurs médiocre ou juste qu’ils cherchent à avoir des avantages supplémentaires ne leur vient pas à l’esprit.

L’herbe est toujours plus verte chez le voisin et ils prennent les exemples qui les arrangent pour justifier leurs plaintes.

Pour le rôliste c’est pareil. Je maîtrise Shadowrun depuis le tout début. Et il y a toujours des joueurs pour se plaindre que l’adepte physique est plus faible que les mecs cybernétisés ; ce qui objectivement est faux. C’est juste deux approches différentes et il est possible de faire des porcs dans les deux cas si c’est ce qui nous intéresse. Mais c’est comme cela.

Dans la recherche d’un supposé équilibre j’entends surtout des joueurs qui ont perdu de vu l’aspect double coopération pour faire avancer l’histoire (coopération entre les joueurs et coopérations joueurs-MJ) et qui sont dans la compétition ; cet équilibre utopique c’est l’assurance que personne « ne sera plus fort » que moi.

Je trouve que c’est à la fois assez enfantin et que cela perd de vue l’essentiel : le plaisir de jeu et les interactions autour de la table et avec les personnages non joueur.

Tu peux avoir la plus belle mécanique ronflante, si tu ne prends pas de plaisir avec, quel est l’intérêt ? Bien sûr il est possible que le plaisir de certains joueurs soit juste d’avoir la plus grosse.

Et je suis peut être juste un vieux con.

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